En 2017, la ville de Conakry en Guinée était nommée Capitale mondiale du livre. L'occasion de revenir sur ces événements et de soutenir sa littérature.
La journée internationale du livre et du droit d'auteur
"Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous"
Franz Kafka, Lettre à Oskar Pollak, 1904
Le 23 avril marque la Journée internationale du livre et du droit d’auteur. Nous célébrons les 401 ans de la disparition de Shakespeare mais aussi les 118 ans de la naissance de Vladimir Nabokov. Cette date symbolique est l’occasion de partager la littérature, de rendre hommage aux auteurs, de permettre à chacun de découvrir le plaisir de la lecture. Pour cette même date et depuis 2001, l’UNESCO désigne une ville comme “Capitale mondiale du livre” pour une période d’un an, qui s’engage à promouvoir le livre et à mettre sur pied un programme d’activités. Irina Bokova, directrice générale de l’UNESCO, souhaite célébrer en ce jour “le pouvoir qu’ont les livres de nourrir la créativité et de promouvoir le dialogue entre les femmes et les hommes de toutes les cultures ».
La Capitale mondiale du livre n’est pas désignée deux fois d’affilée sur le même continent pour permettre à toutes les régions du monde d’être valorisées et mises en avant. Les villes postulent directement sur le site de l’UNESCO et doivent soumettre un programme d’activités spécialement conçu pour la nomination. Elles doivent également présenter un avant-projet des dépenses prévues ainsi qu’un projet de financement. C’est ensuite un jury, composé de l’Union Internationale des Éditeurs (UIE), de la Fédération Internationale des Associations et Institutions de Bibliothèques (IFLA) et de l’Association Internationale des Libraires Francophones (AILF), qui étudie les propositions et qui désigne la ville la plus apte à recevoir cette nomination. Les villes sont choisies en fonction de l’implication des autorités municipales, régionales ou même internationales dans le secteur du livre. La quantité et la qualité des activités ainsi que l’implication des auteurs, éditeurs, libraires et bibliothécaires, ainsi que tous les aspects de la chaîne du livre sont également des critères importants dans la décision.
L'Afrique mise à l'honneur cette année
"En ces temps agités, les livres témoignent de la capacité humaine d’invoquer des mondes réels et imaginaires, et de leur faire transmettre des messages de compréhension, le dialogue et la tolérance. Ce sont des symboles d’espoir et de dialogue."
Irina Bokova lors d'un discours à l'UNESCO
En 2015, c’est la ville d’Incheon en Corée, dans la banlieue de Séoul, qui a été nominée, notamment pour son programme "Free English Zone", qui devait permettre à la région de concurrencer les zones anglophones asiatiques comme Hong Kong ou Singapour. En 2016, c’est la ville de Wroclaw en Pologne qui a été désignée grâce à l’implication des communautés locales et la promotion du secteur de l’édition et des bibliothèques au niveau régional et international. Cette année, la Guinée est mise en lumière : l’élection de la ville de Conakry est une preuve que l’Afrique francophone est aujourd’hui considérée comme un acteur du livre à l’international. Le comité de sélection a distingué la ville de Conakry "à la lumière de la qualité et la diversité de son programme" et en particulier "pour l’attention accordée à l’implication des communautés" ainsi que "pour ses objectifs de développement qui mettent l’accent sur les jeunes et l’alphabétisation".
En Guinée, comme dans de nombreux pays en développement, le livre est un produit rare et cher. Le revenu moyen des ménages est très faible, l’alphabétisation est encore loin d’être généralisée, surtout pour les filles. L’école est bien souvent le seul endroit où les enfants sont en contact avec la lecture, le réseau de bibliothèques est fragile et le nombre d’éditeurs insuffisant. Les cessions de droits et les traductions à partir de langues africaines sont quasiment inexistantes. C’est l’industrie du livre tout entière qui demande à être encouragée et développée. La nomination de la Capitale mondiale du livre n’a donc pas qu’une valeur symbolique, de véritables résultats sont espérés pour les professionnels du pays. Aliou Sow, fondateur des éditions Ganndal (qui signifie "savoir" en peul) à Conakry, explique que cette nomination va donner à la Guinée tout entière un rayonnement culturel à l’international. Grâce à cela, il va pouvoir défendre la littérature nationale, mettre en avant des auteurs et leur donner de la visibilité sur les marchés du Nord, notamment sur les salons et les foires telles que celles de Bologne ou de Francfort. Par ailleurs, les diasporas africaines présentes dans les pays du Nord ou les organisations du livre soutiennent les différents projets qui émergent à Conakry mais aussi dans toute la Guinée.
Défendre une littérature, c’est aussi en montrer les qualités et attiser la curiosité des éditeurs étrangers. Aliou Sow espère voir décoller le nombre de contrats, de coéditions panafricaines (déjà assez présentes) ou avec des éditeurs français. Enfin, ce sera l’occasion de montrer la diversité et le dynamisme de l’édition en langues africaines et de défendre ce choix, de le valoriser, pour que le pays redécouvre son patrimoine.
Enfin, la lecture est un enjeu essentiel au développement des enfants (dans l’appropriation du monde et de leur propre personne), et ainsi du pays tout entier. Donner aux enfants du pays de quoi nourrir leur imaginaire, leur donner à lire pour les aider à se construire, à apprendre et à grandir, est un enjeu essentiel au développement. Des manifestations existent déjà pour apporter le livre au plus près de la jeunesse guinéenne comme les 72H du livre, des collectes de livres ou bien une bibliothèque itinérante qui pousse jusque dans les campagnes, mais il reste encore du chemin pour que l’accès au livre soit généralisé dans le pays. L’un des objectifs les plus importants est d’amener les autorités à apporter une attention toute particulière au secteur du livre à l’avenir, pour que les maisons d’édition et les bibliothèques puissent bénéficier de subventions ou que la création de librairies soit soutenue partout dans le pays.
Un programme pour le livre, la lecture et le développement
Le vice-commissaire chargé de l’organisation de l’événement, Mohamed Lamine Camara, explique qu’il y a quelques mois encore le gouvernement guinéen ne semblait pas considérer l’accès au livre comme une priorité. Toutes les démarches visant sa démocratisation émergeaient des professionnels constitués en associations. Le ministère de la Culture guinéen est le plus petit département du gouvernement et la direction nationale du Livre et de la lecture ne dispose d’aucun budget. Les bibliothèques publiques n’existent quasiment pas et celles qui existent manquent cruellement de moyens pour renouveler le fonds ou maintenir l’état des bâtiments. Cette nomination bouleverse donc les choses. Le 23 janvier dernier, l’événement "Conakry Capitale Mondiale du Livre 2017" a été reconnu d’utilité publique par un décret présidentiel, une initiative qui a tardé à venir mais qui prouve l’importance du projet.
Comme chaque année, les acteurs mobilisés dans ce projet sont très nombreux. “Conakry Capitale Mondiale du Livre 2017” est piloté par le Commissariat Général, dirigé par Sansy Kaba Diakité, également directeur des éditions l’Harmattan Guinée. Le Comité d’organisation, quant à lui, est constitué de l’ensemble des Associations des professionnels du livre du pays : l’Association des Écrivains de Guinée (AEG), l’Association des Éditeurs de Guinée (ASSEGUI), l’Association des Libraires de Guinée (ALG) ou encore l’Association des Bouquinistes de Guinée (ABG) en plus de toutes les organisations qui œuvrent à la promotion du livre, de la lecture et de l’alphabétisation dans le pays.
Tout au long de cette année, les manifestations vont battre leur plein et vont s’organiser autour de thématiques mensuelles. Tous les sujets importants seront abordés : l’éducation et l’enfance, les relations Afrique/Europe, la liberté d’expression et la liberté de la presse, l’histoire, les indépendances et la commémoration des grands noms du continent, les langues africaines, les droits de l’homme, les contes et légendes, la bande dessinée, les femmes, l’agriculture, etc.
Le projet le plus important mis en place est celui de la création de médiathèques dans toutes les communes de la ville de Conakry et de l’île de Kassa (située dans l’archipel des îles de Los au large de la ville), ainsi que des points de lecture dans différents quartiers plus isolés. Ces réalisations devraient permettre d’amener la population alphabétisée vers le livre, en y améliorant l’accès pour les élèves et les étudiants ainsi que toute la population. Les points de lecture seront gérés par la médiathèque centrale et seront aussi créateurs d’emploi. Les lieux seront pratiques et accessibles également aux personnes handicapées.
Quel avenir pour la manifestation ?
Pour promouvoir le livre en 2018, l’UNESCO a choisi la ville d’Athènes : une ville engagée qui montre l’exemple au monde entier. Son programme d’activités est très fort, tourné vers l’accès à la culture pour tous et surtout pour les réfugiés qui débarquent sur les terres grecques à la recherche d’espoir et d’avenir. L’afflux de migrants est exceptionnel ces dernières années et représente un poids pour un pays comme la Grèce, déjà dévasté par la crise économique. Cette nomination revêt alors une dimension nouvelle, celle de l’humanitaire.
Cependant, la renommée d’une telle désignation est menacée. Jusqu’en 2016 étaient pris en compte les efforts de conformité aux principes de liberté d’expression, de liberté de publication et de diffusion de l’information, conformément à l’Acte constitutif de l’UNESCO. Aujourd’hui, il semblerait que l’UNESCO ne considère plus l’absence de liberté d’expression éliminatoire, un critère pourtant important aux yeux de nombreux acteurs de cette manifestation. La Fédération Européenne et Internationale des Libraires (EIBF) s’est donc retirée du comité de sélection en juin 2016, devenant un simple organe consultatif, et explique dans un communiqué que "la candidature de toute ville prétendant au titre de capitale mondiale du livre est irrecevable dès lors qu’il est de notoriété publique, ce qui est aisément vérifiable en ligne, que la liberté d’expression n’y est pas entièrement garantie".
Quoi qu’il en soit, avec plus de 500 000 visiteurs attendus, plusieurs pays invités, plus de 4500 auteurs à la rencontre de leur public et un millier de rencontres, conférences et débats, des projections de films, des visites guidées du centre historique… plus que le livre, c’est tous les secteurs de la culture qui seront mis en avant durant cette année en Guinée.
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