L'édition traditionnelle et la librairie contre l'auto-édition : un faux problème
Au pire du mépris, au mieux de l'indifférence
Lorsque je parle de mon intérêt pour l’auto-édition, la plupart de mes interlocuteurs trouve ça intéressant. Mais quand j’ajoute que je suis libraire, ou lorsque j’évoque mes quelques années travaillées en tant qu’assistante éditoriale dans une maison d’édition traditionnelle, les regards deviennent subitement suspicieux. À l’inverse, il arrive que des collègues libraires me rient au nez gentiment quand je leur demande leur avis sur certains livres ou auteurs auto-édités.
Il paraît inconcevable de montrer un intérêt partagé dans tous ces domaines tant le clivage est fort.
L’édition traditionnelle et la librairie ont longtemps montré un dédain particulier vis-à-vis des auteurs qui ont choisi une autre voie. Il arrive que parfois cela soit justifié : le texte est mauvais, la mise en page laisse à désirer et la couverture ne rivalise pas avec les merveilles qu’on trouve sur les tables des libraires. Malgré les progrès et la professionnalisation de plus en plus importante des auteurs auto-édités, ces a priori sont toujours d’actualité. Et puis faire un livre, c’est un métier, on fait bien souvent des études pour ça. C’est évidemment une preuve qu’on ne peut pas le seul et sans connaissances.
Ceci-dit, certains auteurs auto-édités nourrissent un mépris tout aussi injustifié à l’égard de ces grandes institutions, ce microcosme où sont publiés toujours les mêmes auteurs, toujours plus ou moins de la famille : tel éditeur est publié chez tel autre, tandis que tel auteur obtient un poste de responsable éditorial ici. Ils ne laissent donc aucune chance aux autres ? De toute façon, on se doute bien qu’ils ne s’intéressent pas aux textes qu’ils reçoivent.
En réalité, on comprend que les uns ont pour les autres pas mal d’indifférence et qu’ils ne cherchent donc pas vraiment à comprendre les choix et les décisions de chacun. Il existerait pourtant quelques irréductibles gaulois – comme moi – qui sont bien trop curieux pour rester sagement à regarder s’enliser cette opposition. Il se trouve que j’ai plutôt envie de construire des ponts entre tout ce petit monde.
Le pourquoi du comment
J’ai travaillé pendant deux ans dans la belle maison qu’est Actes Sud, dans le service des cessions de droit puis en tant qu’assistante éditoriale. J’y ai appris énormément, en terme de coordination éditoriale, de fabrication, de suivi. J’ai aussi vu la fourmilière bouillonnante qu’elle est, toujours sur le fil, toujours en retard. L’édition est un milieu presque enivrant où tout va vite et c’est en même temps le lieu où le diamant est poli, avec beaucoup de soin.
Lorsque mon contrat s’est terminé, j’ai eu la possibilité d’aller à Paris. De crises d’angoisse en crises d’angoisse, j’ai fini par me résoudre : cette vie n’est pas pour moi. Je préfère rester dans le sud, et je me dirige naturellement vers mes premières amours : les librairies. J’y ai passé tellement de temps étant adolescente, je les observe encore les yeux pétillants. Je suis engagée comme libraire au rayon littérature et passe responsable après quelques mois seulement. C’était il y a trois ans, et je ne regrette pas ce choix. Je suis aujourd’hui toujours libraire et je savoure chaque jour la diversité, le choix et le contact dont je bénéficie grâce à mon métier. J’ai une relation privilégiée avec les auteurs mais aussi avec les éditeurs et leurs représentants. Surtout, je comprends comment ça se passe d’un côté comme de l’autre, j’ai une vision d’ensemble du secteur.
Ce que j’aime, c’est commencer la lecture d’un texte et ressentir cette petite excitation qui m’averti que je vais passer un bon moment. Peu importe finalement d’où vient ce texte et comment il a été édité.
L'auto-édition dans la vie d'un libraire
Tous les jours ou presque, des auteurs auto-édités passent à la librairie pour nous parler de leur livre, essayer de nous le vendre, et nous demander de l’accepter en dépôt. Parfois, c’est oui, parfois c’est non. Nous essayons de jauger l’auteur, son implication et la qualité de son livre. Malheureusement, bien d’autres facteurs entrent en jeu : le moment de la journée ou de la semaine où ils décident de venir, la période de l’année, le nombre de livres que nous avons déjà en dépôt. Il y aura des heureux mais aussi des déçus, qui ne manqueront pas de nous faire savoir que nous jouons le jeu des grands groupes. La plupart heureusement est compréhensive.
Naturellement, il m’est arrivé d’y jeter un oeil, sans plus, par simple curiosité. Et souvent, c’est vrai, ça laisse à désirer. Mais parfois, on tombe sur une pépite. Ça pourrait être retravaillé, évidemment, mais il y a quelque chose qui se produit à la lecture.
Au fil des rencontres et des dédicaces, j’ai posé des questions aux auteurs que je rencontrais. Leurs parcours sont très différents, leurs raisons d’avoir choisi l’auto-édition aussi. Et pourtant, ces gens m’inspirent, ils sont passionnés et motivés, envers et contre tout.
Alors non, il n’y a pas que du bon, mais c’est valable en auto-édition comme dans l’édition traditionnelle. Non, il n’y a pas de concurrence parce qu’on n’a pas affaire aux mêmes stratégies ou aux mêmes lecteurs.
Oui, on peut avoir aimé l’édition traditionnelle, adoré son métier de libraire et soutenir l’auto-édition.
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